Astia.
J’ai écrit pour la première fois à Soupirs en plein début juillet 2019. Chaleur atroce, soleil brûlant. Première missive envoyée à la fin de mon voyage en solitaire au Japon, je rentrais sur Paris deux jours après — envoyée au hasard complet, un simple « match automatique » avec pour hobby commun « poésie ».
Nous nous sommes écrit chaque jour des lettres de plus en plus longues. Les lettres prenaient une trentaine de minutes à arriver lorsque nous étions tous les deux à la capitale — deux heures tout au plus lorsque nous étions chacun en vacances.
C’est grâce à Soupirs que j’ai repris goût à l’écriture, dans un moment où j’en avais un besoin véritable et inconscient. Les correspondants imaginaires et mes lettres rédigées à des expéditeurs fantômes dans mes notes de téléphone n’étaient plus — Soupirs était mon correspondant et il allait devenir mon meilleur confident, la personne qui allait me faire me découvrir, m’ouvrir entièrement au monde, être honnête avec moi-même et avec les autres.
« Je me surprends à attendre tes lettres, maintenant. C’est devenu comme une habitude de dévorer avec les yeux tes paroles couchées sur le papier. Lire, relire, écrire, attendre. Comme une habitude de vie, un nouveau jeu auquel je joue, avec pour seule règle de faire confiance au temps. »
11 juillet 2019
« Nos lettres sont de plus en plus longues. J’aime les longues lettres. Mais j’ai peur d’être de plus en plus aspiré dans l’écriture de celles-ci, surtout qu’elles ne mettent que deux heures à voyager, et encore moins quand je serai de retour à Paris ; j’ai toujours envie de les lire, de les relire, d’y répondre. »
12 juillet 2019
On s’est rencontrés comme deux inconnus ; je me suis confiée comme à personne. Mes lettres étaient tout au plus des ébauches de ce que j’étais, de ma vie, de mon passé, de mes peurs et de mes joies. Je me souviendrai toujours de cette lettre où je me suis ouverte véritablement, où j’ai sauté le pas et ne plus parler seulement de surface : cette lettre était plus longue, plus sincère, travaillée avec attention. J’en redoutais sa lecture, j’ai eu peur de ne jamais avoir de réponse.
« Ta lettre a comme une autre saveur qu’habituellement, en effet. Ta sincérité est si agréable à lire. »
12 juillet 2019
Me confier à Soupirs était une sorte de délivrance. Plus j’écrivais, plus je m’attachais et mieux je me cernais. Nous étions tous les deux gagnants à notre échelle de ce que l’autre nous apportait, sorte de relation équitable. Nous avions besoin de la même chose : écrire, trouver un sens à nos vacances et à notre vie en général. Malgré nos différences, nous avions les mêmes buts, et souvent la même conception de l’existence.
La poésie a donné le lien véritable entre nous ; nous nous échangions beaucoup nos poèmes, nos recueils appréciés, des poètes que l’on aimait. Nous étions animés par la même flamme : écrire, lire, apprendre. Et nous nous apprenions tellement l’un à l’autre, nous donnions tant à lire, à découvrir, et nous donnions mutuellement de l’inspiration à écrire. Aujourd’hui encore c’est toujours le cas, en plus de la musique, de recettes de cuisine, et un peu de tout ce qui existe et nous attire à son échelle.
Après avoir échangé nos numéros de téléphone, nous nous sommes promis un rendez-vous à la capitale, fin juillet. Le premier rendez-vous n’était pas un véritable rendez-vous : le but était de trouver un essai de Cioran dans le même quartier parisien et tomber l’un sur l’autre si le destin le voulait. Je lui avais promis une réponse à sa dernière lettre Slowly en lettre manuscrite que j’avais soigneusement caché derrière une rangée de livres, dans une librairie du quartier latin. Nous nous cherchions sans se chercher, s’étant donné quelques caractéristiques physiques (lui : son t-shirt rouge et son sac — moi, ma longue jupe marine et mes talons). Et alors même que j’étais arrêtée devant des livres étalés dans une librairie, j’ai reçu ce message :
« Je… t’ai vue. À 99% de chance. »
Quel est le dernier % ?
L’étrange possibilité d’une personne qui serait toi sans l’être. »
Nous nous sommes vus en début de soirée et nous avons marché ensemble sur les quais de la Seine, jusqu’à ce que la nuit tombe. Nos échanges de banalités, hors de l’univers et la complicité que nous avions réussi à instaurer par lettres, avait finalement été difficile à digérer. Le deuxième rendez-vous était quelques jours plus tard, au musée d’Orsay. Nous nous sommes revus plusieurs fois ensuite, puis il est parti en vacances, et août nous a légèrement séparés. Nous ne nous sommes pas envoyés vraiment de lettres.
Puis est arrivé septembre — l’automne s’installait, la rentrée avait donné ce coup de massue à l’arrière de la tête et le temps où nous nous écrivions me paraissait déjà bien loin. Lui en prépa, moi en dernière année de licence avec pour but d’aller étudier à l’étranger l’année d’après. Nos études nous prenaient tout le temps que nous avions alors dégagé l’un pour l’autre pendant l’été. Nous avons échangé quelques lettres manuscrites (jusqu’à ce que la mienne soit perdue par la poste), nous sommes vus plusieurs fois pour aller travailler ensemble au café ou se promener sur les quais de la Seine. Nous ne nous sommes plus parlés dès octobre, pour diverses raisons, entre autre ce décalage que nous avions entre l’écrit et la réalité. Puis, Slowly, et une lettre à Noël :
« Une pensée, malgré tout, pour toi. Joyeux Noël Soupirs. Passe de bonnes fêtes. »
25 décembre 2019
Et une réponse, quelques jours plus tard :
« Merci, Astia. Bonne année à toi ! »
1er janvier 2020
Ces ridicules phrases ont réussi à faire renaître une brise de contact : il y avait un lien permanent et immuable via les lettres. Quelques missives courtes ont suivi, moins empreintes de doutes et de frustration. Nous avons commencé à nous reparler en ce début d’année, par petits morceaux, et par messages. Nous nous sommes revus en février. Nous passions quelques après-midi de la semaine à travailler et parler ensemble dans des cafés de la capitale, certains soirs de week-end ensemble.
Pour moi, la relation que j’entretiens avec lui n’est pas simplement du hasard ; je pense que nous étions destinés à nous rencontrer, et nos lettres sont arrivées au bon moment. L’été et le temps que nous avions pour échanger des lettres étaient des périodes propices à l’épanouissement de ce que nous voulions créer, et nous nous sommes souvent dit que notre relation ressemblait comme deux gouttes d’eau au destin de personnages de roman. Nous nous voyons dans les plus beaux endroits de Paris, passons du temps à boire du cidre dans l’appartement de l’un ou de l’autre à l’ombre de la lumière tamisée, nous partageons nos lectures, nos musiques, nos réflexions. Si nous en croyons la légende urbaine : nous avons plusieurs âmes sœurs dispersées sur Terre, avec qui nous entretenons des liens solides et éternels. J’y crois sincèrement, lorsque je prends le temps de voir à quel point je suis chanceuse qu’il existe. Cette relation est sûrement la plus privilégiée et magique que j’ai pu vivre jusqu’ici.
J’ai cette certitude que peu importe où j’irai, qui je serai ; Soupirs sera toujours présent, que nous nous inspirerons, nous ferons grandir mutuellement, et ceci à jamais.